Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]

NOTICE

HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

EUSTACHE LE SUEUR.

Michel-Ange, Titien et Léonard de Vinci, qui vécurent près d'un siècle, ont laissé des productions justement admirées, et leur nom est toujours cité de la manière la plus honorable; mais une aussi longue existence n'est pas nécessaire pour arriver à une semblable célébrité, puisqu'on parle avec autant d'éloge de Raphaël, de Lucas de Leyde, de Paul Potter et de Le Sueur, qui n'atteignirent pas leur quarantième année, et laissèrent pourtant de nombreux tableaux justement admirés. Les travaux de Le Sueur, loin de le conduire aux honneurs et à la fortune qu'il aurait dû en attendre, l'ont laissé dans un état voisin du besoin: ses contemporains semblaient faire peu d'attention à son mérite, et on croyait trop payer ses travaux en lui donnant à peine le nécessaire.

Eustache Le Sueur, né à Paris en 1617, reçut de son père, sculpteur peu connu, les principes du dessin; mais les dispositions naturelles qu'il montra pour la peinture devinrent un motif suffisant pour quitter l'atelier de son père et entrer dans l'école de Vouet, où il se trouva avec Mignard et Le Brun. On ne sait rien de particulier sur la jeunesse de cet artiste, si ce n'est qu'il ne fit aucun voyage en Italie, et qu'il se forma par l'étude des statues antiques, par celle des tableaux de Raphaël qui se trouvaient à Paris, et par les estampas gravées d'après ses plus grands ouvrages.

Le Sueur se maria en 1642, à l'âge de 25 ans; mais il n'eut probablement pas d'enfans, et il s'occupa de divers travaux, dont les plus importans sont les vingt-deux tableaux de la vie de saint Bruno, qu'il peignit dans le cloître des Chartreux, pendant les années 1645 à 1648. Ceux qui aiment à trouver partout du merveilleux et du romanesque ont prétendu que si ces tableaux lui avaient été peu payés, c'est que Le Sueur les fit pour acquitter sa dette envers les Chartreux où, quelques années auparavant, il avait trouvé un asile assuré contre les poursuites qu'il craignait, à cause d'un duel dans lequel il aurait dangereusement blessé son adversaire. Un récit aussi absurde ne mérite aucune foi, et une preuve irrécusable de la modicité des prix qu'on accordait aux travaux de Le Sueur se trouve dans l'Isographie des hommes célèbres, où on a rapporté une quittance de cent livres pour le prix d'un tableau de l'autel de la Madeleine. Cette pièce est datée de la fin de 1651, lorsque le peintre avait acquis sa trente-cinquième année. La quittance était faite au nom de dom Anselme; on peut présumer que le tableau dont il est question est un de ceux qu'il fit dans cette année pour l'abbaye de Marmoutiers, près de Tours. Il fut encore chargé de plusieurs tableaux pour l'église de SaintGervais; on ignore en quelle année.

Le Sueur, ainsi que tous les peintres de Paris, faisait partie de l'Académie de Saint-Luc. Lors de l'établissement de l'Académie royale de peinture, en 1648, il fut un des douze anciens, c'est-à-dire un de ceux qui devaient professer pendant un mois chaque année.

Il fut chargé de peindre, en 1647, pour la compagnie des orfèvres, le tableau que les syndics présentaient tous les ans, au mois de mai, à l'église cathédrale de Paris, et dont on parle souvent sons la dénomination de mai de Notre-Dame. Ce tableau, représentant saint Paul faisant brûler les livres des gentils, est un chef-d'œuvre qui place Le Sueur à côté du peintre illustre

[merged small][ocr errors]

nommé Le Sueur le Raphaël de la France, car aucun peintre plus que lui n'a ressemblé à ce prince de la peinture, par la sagesse et la grandeur de ses compositions, par l'art de jeter les draperies et d'en disposer les plis avec noblesse et simplicité : comme Raphaël, il sut varier ses airs de tête, suivant l'état, l'âge et le caractère des personnages; comme lui, il sut bien rendre les affections de l'ame; et de même que lui, il ne posséda pas cette vigueur de ton et cette entente parfaite du clairobscur qui ont été le partage des écoles vénitienne et flamande; mais il n'eut pas dans son dessin l'extrême pureté qui fait le principal méritede Raphaël.

Ainsi que l'ont déjà fait remarquer Lévêque et Taillasson, les compositions de Le Sueur sont simples et majestueuses; rien d'inutile n'y est amené pour faire des contrastes, pour établir les beaux groupes, pour étonner le spectateur par le fracas d'une scène théâtrale; ses peintures sont composées et dessinées avec tant de goût qu'on croirait qu'elles ne sont que l'ouvrage de l'art; elles paraissent si vraies qu'elles semblent prises d'après nature : ce qui a manqué à Le Sueur pour donner à son talent tout le développement dont il était susceptible est d'avoir eu, comme Le Brun, de grands travaux à exécuter.

La pureté des mœurs de Le Sueur et la douceur de son caractère lui attirèrent l'estime de tout le monde; mais ses talens lui suscitèrent des envieux, tandis que sa modestie et son exacte probité l'empêchèrent de chercher à s'appuyer de puissans protecteurs; cependant il fut aimé de M. Lambert de Torigny, qui l'occupa pendant onze années à peindre divers appartemens de son hôtel. Il avait à peine terminé ses travaux, lorsqu'au mois de mai 1655 il mourut à la suite d'une maladie de langueur, augmentée peut-être par les tourmens que pouvait lui occasioner un ancien émule devenu son rival heureux; c'est du moins ce qu'on peut augurer de la phrase de Félibien, qui dit : « Sa trop grande passion pour l'art, le désir de la gloire, et une application trop assidue au travail pour

surpasser les autres peintres qui avaient plus de réputation, lui fit faire de si grands efforts d'esprit qu'il épuisa bientôt toutes ses forces. C'est donc à tort qu'on a prétendu que ses jours avaient été abrégés; on aurait pu dire seulement, sans cesser d'être vrai, que le chagrin qu'on lui causa empoisonna ses jours.

Le Sueur fut enterré à Saint-Étienne-du-Mont. Florent Le Comte rapporte au sujet de sa mort une anecdote qu'il raconte avec une naïveté qui doit donner à réfléchir, disant que « Le Brun, pénétré de son mérite et de ses vertus, ne put s'empêcher de dire, en apprenant sa mort, que la France avait perdu en lui un des plus rares génies de l'Europe, ce qui, ajoute-t-il encore, surprit fort les élèves de M. Le Brun, qui savaient que huit jours auparavant il le craignait plus qu'il ne l'aimait. C'est cependant encore une erreur de penser que des méchans aient poursuivi la réputation de Le Sueur jusque dans son tombeau, en mutilant plusieurs de ses tableaux du cloître des Chartreux; il est plus naturel de croire que des ignorans, des gens grossiers aient détérioré ces précieuses peintures, comme il arrive si souvent de voir mutiler les statues qui décorent les jardins publics.

Le Sueur, qui aurait tant influé sur l'école française s'il eût vécu plus long-temps, n'a pas formé d'autres élèves que ses trois frères, Pierre, Philippe et Antoine Le Sueur, qui n'ont acquis aucune célébrité, et Thomas Gouslai, son beau-frère, qui l'a aidé quelquefois dans plusieurs de ses tableaux.

Les compositions gravées d'après lui passent le nombre de 112; Gérard et Benoît Audran, Étienne et Bernard Picard, Fr. Chauveau, Duchange, Duflos, Bartholozzi, Audouin, R. U. Massard, et Henri Laurent, sont les principaux graveurs qui aient travaillé d'après lui.

« AnteriorContinuar »