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Reste donc à décider entre l'Ichnae de Macédoine et l'Ichnae de Thessalie.

En donnant notre médaille à la première plutôt qu'à la seconde de ces deux villes-ainsi que, dès à présent, je propose formellement de le faire-non seulement j'ai la conviction que bien loin de m'abuser je suis à cet égard complètement dans le vrai, mais encore j'aime à me persuader qu'une pareille attribution-lorsqu'on m'aura entendu-ne soulèvera, chez les numismatistes, aucune sérieuse opposition; à la vérité, la légende de cette médaille, telle qu'elle est constituée, n'offrant rien dans sa teneur de particulièrement significatif-comme serait, par exemple, une forme dialectique spéciale et bien caractérisée-pourrait à la rigueur, je n'en disconviens pas, parfaitement s'appliquer à l'une tout aussi bien qu'à l'autre de ces deux villes. C'est pourquoi, ne fût-ce que dans le but de dissiper toute espèce d'incertitude, autant qu'à l'effet de dégager immédiatement ce côté de la question, je crois devoir exposer, en peu de mots, les divers motifs qui ont guidé mon choix.

Ces motifs sont de trois sortes, ou, selon qu'on voudra, reposent sur trois ordres de considérations dont, chacune, ne laisse point, comme on le verra, d'avoir sa valeur relative.

Je me fonde d'abord et principalement sur la fabrique de la médaille, autrement dit sur son aspect général ou d'ensemble et, en particulier, sur ses types, sur son style, sur son poids; lesquels détails, en même temps qu'ils rappellent d'une manière frappante un très-rare didrachme des Oreski publié, il y a peu de mois, par Mr. Barclay Head, offrent manifestement à mes yeux tous les indices

The Greek Autonomous Coins, from the Cab, of the late Mr. Ed. Wigan, Part I. Num. Chron., N.S., vol. xiii. p. 105,

matériels d'une fabrication essentiellement macédonienne bien plutôt que thessalienne: appréciation toute personnelle, que je n'ai nullement la sotte prétention de vouloir imposer à qui que ce soit, qui même, j'en ai peur, semblera, de prime abord, trop tranchante peut-être ou trop absolue, mais de laquelle, cependant, j'ose espérer qu'on voudra tenir quelque compte, si on ne refuse pas d'accorder qu'un antiquaire qui, depuis plus de vingt-cinq ans, s'occupe spécialement de la numismatique de cette contrée, a pu acquérir, dans cette étude, sinon le droit de parler avec pleine autorité, tout au moins une certaine dose de compétence et d'expérience pratique.

Au reste et pour couper court, qu'on prenne la peine de comparer, pendant un instant, notre pièce avec le didrachme des Oreskii que je viens de citer, on aura tout de suite la preuve que les différences qui les séparent sont, en réalité, fort peu sensibles. Elles consistent uniquement en ce que sur l'une le groupe regarde à gauche tandis que sur l'autre il est tourné à droite, qu'ici

le personnage a la tête couverte d'un casque, et que là,

il porte la kausia macédonienne. Quant au style ou à la manière dont la composition est traitée, on y reconnaît visiblement l'influence de la même école archaïqueseulement, la présence du carré creux sans adjonction de type au de symbole qu'on voit figurer au revers du didrachme des Oreskii, montre que celui-ci est un peu plus ancien; le poids, en outre, est presque identique dans les deux pièces (152 grains anglais pour l'une, 142 pour

Pl. IV. fig. 8. Je n'ai pas cru nécessaire de faire reproduire le dessin de ce didrachme, parce que j'ai pensé que le mémoire de M. Head, devant être, à l'heure présente, entre les mains de tous les numismatistes anglais, il suffisait d'y renvoyer le lecteur.

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l'autre). Si la nôtre est plus légère, cette différence ne prouve absolument rien et ne saurait constituer une sérieuse objection; car le déchet qu'a subi notre exemplaire provient tout uniment de ce qu'il à beaucoup plus circulé que l'autre et qu'il a, par surcroit, été percé, ce qui nécessairement a dû lui faire perdre quelque chose de son poids primitif. Enfin, si on s'en réfère aux tables dressées exprès pour cet objet par M. V. Vazquez Queipo, on se convaincra que le poids de notre médaille, même tel qu'il est (9.20 gr. fr.), se trouve en parfaite corrélation avec celui de tous les didrachmes frappés, à cette époque, par les Oreskii, par les Létéens ou autres peuplades macédoniennes, et que ce poids, qui oscille entre 9.02 et 9-82, n'a jamais été constaté une seule fois sur les monnaies de la Thessalie: cela, par la très-bonne raison que, dans cette dernière contrée, on n'employait généralement que le système éginétique tandis qu'on se servait, en Macédoine, avant le règne de Philippe II., du système que M. Vazquez Queipo a cru devoir désigner sous le nom spécial d'olympique. Or, c'est là, je le déclare, un argument qui, à mes yeux, est aussi capital que décisif.

Secondement, je me fonde, sur cette autre considération, que l'Ichnae de Thessalie-bien, qu'à la vérité, elle ait été mentionnée par Strabon-n'est, en réalité, connue que dans quelques traditions mythologiques mises en œuvre par les poëtes, et à cause sans doute d'un Temple de Thémis surnommée Ichnaeenne qui existait en cet endroit, mais que rien, absolument rien dans l'histoire proprement dite, ne s'y rapporte ou même n'y fait allusion en quoi

Essai sur les Systèmes Métriques et Monétaires des Anciens Peuples. Paris, 1859. In 8vo. 1re partie de Tables: Monn. Grecques, p. 148 et seq.

Lycophr. Cassand., v. 129; Antholog. Gr., i. p. 60.

que ce soit; ce qui n'est point du tout le cas pour l'Ichnae de Macédoine-tout porte à croire que ce n'était pas une ville libre et autonome dans la vraie acception du mot, mais très-probablement une simple bourgade, une sorte d'aggrégat peu considérable d'habitations qui s'étaient, avec le temps, successivement groupées autour du temple et sous sa protection; que loin d'avoir donné naissance à l'Ichnae de Macédoine ainsi que l'a supposé Raoul Rochette ce seraient bien plutôt, à mon humble avis, quelques-uns de ceux d'entre les Bottiéens expulsés par les Témenides qui auraient apporté avec eux, en cet endroit, le culte de Thémis Euboulia pratiqué de longue date dans leur pays, et qui, après avoir construit le temple, lui auraient imposé le nom d'Ichnae, en souvenir de leur cité natale.

Ce qui tendrait à confirmer-au moins dans une certaine mesure-la dernière conjecture que je viens d'exprimer, à savoir: que l'Ichnae de Thessalie serait vraisemblablement issue d'une colonie Bottiéenne et, par conséquent, d'Ichnae de Macédoine, c'est le fait qui résulte du repeuplement, après la mort d'Alexandre le Grand, et par les mêmes Bottiéens, de la ville de Nicaea8 en Bithynie et d'une autre ville homonyme située chez les Locriens Epicnémidiens-de ce rapprochement assez curieux en soi, mais auquel je ne voudrais point, cependant, donner plus d'importance qu'il ne convient, on pourrait, ce semble, tirer au moins cette induction

Voy. dans Steph. Byz. l'article Níkala, où il est dit que cette ville, appelée d'abord Ancoré, puis Antigonia, et enfin Nicaea en l'honneur de la femme de Lysimaque, avait été colonisée par des Bottiéens. Νίκαια Πόλις Βιθυνίας Βοττιαίων ἄποικος.” Le même auteur ajoute : Δευτέρα (Νίκαια) τῶν Ἐπικvidio Aokov. Suidas (Lexic.) dit en parlant de cette dernière : Νίκαια, πόλις Λοκρίδος ἐπιθαλαττίδος Βοττιαίων ἄποικος.

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morale que du moment où les Bottiéens, bien qu'en réalité soumis à Alexandre, avaient encore conservé, malgré cette dépendance, une force d'expansion assez grande pour être en état non-seulement de reconstruire Nicaea de Bithynie et Nicaea de Locride, mais aussi de fonder, en Orient, des villes telles que Ichnae et Edessa de Mésopotamie, et Pella de la Colésyrie, à plus forte raison ont-ils pu, durant le temps où ils étaient entièrement libres et autonomes, fonder une ville du nom d'Ichnae, en Thessalie.

A dire vrai, Raoul Rochette s'est efforcé de démontrer que Étienne de Byzance ainsi que Suidas s'étaient tous deux trompés; que le passage où il est question des deux villes de Nicaca avait été corrompu et qu'au lieu du mot Βοττιαίων il fallait lire Βοιωτίων—bien que ce savant assure qu'aucun auteur ancien ne parle d'établissements formés, soit en Bithynie soit en Locride par des Bottiéens, et tout en reconnaissant avec lui, qu'une correction telle que celle qu'il propose de faire au texte des deux écrivains grecs pourrait, à la rigueur, se comprendre et avoir une raison d'être (vu le peu de différence graphique qui existe entre les deux mots), j'avoue, cependant, que les arguments dont il se sert ne me paraissent ni assez clairs ni assez concluants pour que, sans autre informé, on admette, dans l'un et l'autre texte, une double erreur de ce genre. D'autant mieux que Suidas, en ce qui concerne particulièrement la colonie de Locride, ne se contente pas de répéter purement et simplement les renseignements fournis par Étienne de Byzance, mais qu'il appelle encore en témoignage, sur ce point, l'autorité d'Eschine, d'après lequel la même ville se trouve ainsi nommée dans les mêmes termes par Harpocration (roc. Νίκαια).

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