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HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

PIERRE-PAUL PRUDHON.

Peintre habile, d'un caractère doux et d'un excellent cœur, Prudhon fut toute sa vie abreuvé de chagrin, et il semble que son génie ne lui fut donné par la nature que pour réparer les malheurs qu'il éprouva. Pierre-Paul Prudhon, né à Cluny le 6 avril 1760, fut le treizième enfant d'un maçon qui mourut peu de temps après sans laisser aucun bien : sa mère obtint des moines de Cluny qu'il participerait à l'enseignement gratuit qui se donnait dans l'abbaye.

Le goût du jeune Prudhon se manifesta bientôt de toute sorte de manières; on le vit alternativement dessinateur, sculpteur et peintre. Ses cahiers étaient couverts de croquis à la plume; avec son canif et du savon il tailla des figures; puis mettant à contribution les herbes et les fleurs, il faisait des couleurs. De si heureuses dispositions furent remarquées; on parla du jeune peintre à M. Moreau, évêque de Màcon, qui lui accorda sa protection, et l'envoya étudier sous M. Devosges à Dijon. Ses progrès furent rapides; mais un nouveau malheur l'attendait, et celui-ci était irréparable. Doué d'une grande sensibilité, il ressentit du goût pour une personne peu digne de le fixer, et, malgré les représentations de ceux qui s'intéressaient à son talent et à sa fortune, il se crut obligé de con

II

NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE

tracter une union dont il présageait pourtant les inconvéniens, et qui empoisonna les plus belles années de sa vie.

Quoique marié, Prudhon sentait le besoin de continuer ses études : il vint à Paris en 1780. Il est curieux de voir ce qu'en pensait déjà M. de Joursanvault, l'un de ses protecteurs, en écrivant à M. Wille pour le lui recommander 1. « Il a reçu de la nature ce feu, ce génie qui fait saisir avec rapidité, une grande facilité dans l'exécution, une adresse peu commune. »

Trois ans après, Prudhon concourut au prix fondé par les états de Bourgogne pour aller à Rome. Il travaillait avec ardeur, mais il entend celui dont la loge touchait à la sienne gémir de l'insuffisance de ses moyens son cœur est ému, il veut l'encourager; et, sans songer qu'il peut se faire tort à lui-même, il termine le tableau de son concurrent, qui obtient le prix. Ce jeune homme, touché de la générosité de Prudhon, sentant qu'il va jouir d'une faveur qu'il ne mérite pas, avoue à qui il doit ses succès, et la pension est accordée à celui qui l'avait réellement gagnée.

On a reproché à Prudhon de n'avoir pas étudié l'antique lors de son séjour à Rome, et surtout de ne l'avoir pas imité dans son dessin; mais il répondait à cela : « Je ne puis ni ne veux voir par les yeux des autres; leurs lunettes ne me vont point; j'observe la nature et je tâche de l'imiter. N'est-ce pas entraver le talent que de donner un patron commun à toutes les productions des beaux arts? »

Prudhon connut alors Canova, et une vive amitié les unit jusqu'à la mort, qui les enleva dans la même année: cependant il résista aux sollicitations de son ami qui l'engageait à se fixer en Italie, et il revint dans sa patrie.

De retour à Paris, en 1789, Prudhon y vécut pauvre et

1 Cette lettre appartient à M. le marquis de Châteaugiron; elle est imprimée dans le recueil publié par la société des bibliophiles, année 1826.

ignoré; il y peignait la miniature, et fit quelques dessins qui commencèrent sa réputation. On se rappelle la Cérès, l'Amour réduit à la raison et son pendant, trois pièces gravées par Copia. Prudhon commençait à tirer quelque fruit de son travail, lorsque sa femme, restée dans sa famille depuis son mariage, vint le joindre à Paris, dissipa promptement ses faibles épargnes, et lui donna en compensation trois enfans qui vinrent augmenter son malaise.

En 1794 Prudhon alla faire un voyage en Franche-Comté : il fit dans ce pays un grand nombre de portraits qui lui furent bien payés; il fit aussi pour M. Didot l'aîné les vignettes de Daphnis et Chloé, puis celles pour les OEuvres de Gentil-Bernard. Ayant connu à cette époque M. Frochot, préfet de la Seine, il trouva en lui un protecteur, qui servit à ramener un peu d'aisance dans sa maison. II obtint alors un prix d'encouragement et un atelier au Louvre, puis exécuta pour la salle des Gardes de Saint-Cloud un plafond où l'on voyait la Vérité descendant des cieux conduite par la Sagesse.

Ce premier travail fut bientôt suivi d'autres qui lui auraient donné les moyens d'avoir de l'aisance, si l'intérieur de sa maison eût été mieux tenu; mais il ne pouvait se soustraire à l'influence de celle qui lui causait tant de peine par l'oubli de ses devoirs. Pendant dix-huit ans Prudhon supporta son malheur sans se plaindre, mais son cœur n'en souffrait pas moins, et une mélancolie croissante l'aurait couduit au tombeau, si des amis, voyant sa détermination d'abandonner la vie, ne l'avaient enfin forcé à une séparation, qui pouvait au moins lui rendre un peu de repos.

La solitude dans laquelle Prudhon vécut plusieurs années ramena la tranquillité dans son esprit et le calme dans son âme; mais son cœur avait besoin d'aimer, et un nouvel attachement devint par suite la source de nouveaux chagrins.

Le salon de 1808 vint enfin faire jouir Prudhon des hon

IV

NOTICE HIST. ET CRIT. SUR PRUDHON.

neurs qu'il avait mérités : on y vit paraître Psyché enlevée par les Zéphirs, ainsi que le beau tableau qu'il avait exécuté, par ordre du préfet, pour la salle d'audience de la cour d'assises, le Crime poursuivi par la Justice et la Vengeance céleste. Ces deux tableaux, de genres bien différens, furent également admirés, et méritèrent à leur auteur la décoration de la Légion-d'Honneur.

En 1812 il donna le tableau de Zéphyre se balançant sur les eaux : le mérite de cet ouvrage ne fut pas contesté. Prudhon fut appelé à l'institut en 1816 : ces honneurs n'ôtèrent rien à sa modestie, et sa vie se serait terminée tranquillement sans la catastrophe sanglante qui vint lui enlever en 1821 celle qu'il aimait, et qui, depuis dix-huit ans, lui avait donné les soins les plus assidus et les plus tendres. Au milieu de tant d'infortunes, l'amitié de son élève, M. de Boisfremont, l'arracha à l'isolement auquel il se croyait condamné; mais retombé dans la mélancolie, il ne trouva de consolation qu'en travaillant au tableau que mademoiselle Mayer avait ébauché, la Famille malheureuse entourant un père mourant au sein de l'indigence. En le terminant, son intention était d'en consacrer le produit à l'érection d'un monument funèbre à la mémoire de celle qu'il avait perdue.

Prudhon mourut peu de temps après, le 16 février 1823. Les chagrins dont il fut abreuvé toute sa vie l'empêchèrent de voir la mort avec effroi; aussi écrivait-il à sa fille : « Que la chaîne « de la vie est pesante! seul sur la terre, qui m'y retient encore? La mort a tout détruit... Elle n'est plus celle qui devait « mẹ survivre... La mort que j'attends viendra-t-elle bientôt me ⚫ donner le calme où j'aspire ?... Il fut enterré au cimetière du Père de la Chaise, dans un terrain qu'il avait acheté près de la sépulture de mademoiselle Mayer.

Prudhon a peint dix-huit tableaux; il a dessiné un grand nombre de vignettes, et a gravé à l'eau-forte Phrosine et Mélidor pour l'Aminte du Tasse; il a lithographié la Famille malheureuse, dont il existe plusieurs copies.

TO THE

PAINTINGS AND SCULPTURES

CONTAINED IN THE PARTS 13 TO 24 BIS INCLUSIVE.

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