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CCXXVIII

BANNISSEMENT DES JÉSUITES DE LA LOUISIANE

[François Philibert Watrin]

à Paris, le 3 septembre 1764

SOURCE: Copied from Carayon's publication thereof (Paris, 1865).

Bannissement des Jésuites de la Louisiane.

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OUS m'écrivez, Monsieur, que vous avez été surpris d'apprendre qu'il était arrivé à Paris,

des Jésuites bannis de la Louisiane par un arrêt porté contre eux dans cette colonie. Vous voudriez savoir les motifs de cet arrêt et tout ce qui a suivi son exécution. Je suis au fait de l'affaire qui vous intéresse et même de tout ce qui peut y avoir quelque rapport. J'ai demeuré près de trente ans à la Louisiane, et je n'en suis parti qu'au commencement de cette année. Je suis persuadé que votre curiosité n'a point d'autres motifs que votre amour pour la religion et la vérité. Dans le récit que je vais vous faire, je serai attentif à ne rien dire qui s'écarte tant soit peu de ces deux règles.

Au mois de juin 1763 les Jésuites de la NouvelleOrléans, capitale de la Louisiane, étaient encore entre la crainte et l'espérance au sujet de leur sort à venir. Dès l'année précédente ils avaient vu leurs ennemis répandre avec un air de triomphe des copies manuscrites de l'arrêt donné par le Parlement de Paris, le 6 août 1761. Mais des personnes respectables les avaient rassurés. Il attendaient beaucoup de l'avis donné en leur faveur, et surtout de la prière adressée au Roi par les évêques de France. Ils surent enfin à quoi ils devaient s'en tenir à l'arrivée du vaisseau qui, avec la nouvelle de la paix, portait des ordres pour leur destruction.

Banishment of the Jesuits from Louisiana.

OU write me, Monsieur, that you were surprised

You

to learn of the arrival at Paris of Jesuits banished from Louisiana by a decree pronounced against them in that colony. You wish to know the reasons for this decree, and what followed its execution. I am familiar with the affair that interests you, and likewise with all that can in any way relate thereto. I lived for almost thirty years in Louisiana, and only departed thence at the beginning of this year. I am persuaded that your curiosity has no other motives than your love for religion and for truth. In the recital which I am about to give you, I shall be careful to say nothing which will depart in the least from these two rules.

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In the month of June, 1763, the Jesuits of New Orleans, the capital of Louisiana, were still between hope and fear as to their future fate. As early as the preceding year, they had seen their enemies distribute with a triumphant air, manuscript copies of the decree given by the Parliament of Paris, August 6, 1761. But people worthy of respect had calmed their fears. They were expecting a great deal from the information given in their favor, and, above all, from the petition addressed to the King by the bishops of France. They finally learned what they were to expect, at the arrival of the ship, which brought, with the news of peace, orders for their destruction.

Sur le vaisseau était venu M. d'Albadie, commissaire général de la marine, et ordonnateur à la Louisiane, et avec lui M. de la Frenière, procureur général du conseil supérieur de cette colonie; tous deux nouvellement pourvus de leur charge. M. le commissaire ne tarda pas à déclarer au supérieur des Jésuites ce qui se préparait contre eux. Je crois, lui dit-il, que M. le procureur général est chargé de quelque ordre qui vous regarde. A qui aurait pu l'entendre c'était en dire assez, mais les Jésuites trop rassurés voulurent bien croire que malgré l'exemple de tant de Parlements de France, on ne ferait rien contre eux à la Louisiane, et, dans un moment si critique, ils ne prirent pas la moindre précaution pour mettre leurs biens à l'abri.

On commença à procéder. Il fut ordonné que l'Institut des Jésuites serait apporté au conseil pour être examiné. C'était une grande entreprise pour ce tribunal. Il aurait fallu au moins que tous les juges qui le composaient eussent étudié la théologie, le droit civil, et le droit ecclésiastique. Mais surtout

il aurait fallu qu'ils entendissent la langue dans laquelle l'institut est composé. Or, ce ne sont point ces genres de science qu'on exige dans les juges des colonies. Pour les nommer, on ne va pas chercher les élèves des universités, mais on prend parmi les habitants ceux qui montrent quelques capacités dans les affaires. Ainsi, on trouve dans ces conseils d'anciens gardes-magasin, des médecins, des officiers de troupes. Les plus instruits sont ordinairement les élèves des bureaux de la marine; ce sont eux que jusqu'ici on a le plus souvent choisis, au moins à la Louisiane, pour les faire présidents des conseils:

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