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quelqu'vn leur eft mort. Nagueres qu'ils tirerent du cimetiere les corps de leurs pares, & les porterent dans leurs Cabanes, à l'occafion de la fefte des morts, quelques vns nous apporterent chez nous leurs rets, allegants pour pretexte la crainte qu'ils [116] auoient du feu; car c'eft d'ordinaire en cette faifon que le feu ruine fouuent les Villages entiers; que chez nous nous eftions quafi toufiours fur pied, & dormions fort peu; que nous estions éloignez du Village, & par confequent moins en danger de ce cofté là: mais tout cela n'eftoit que difcours; la vraye raifon eftoit, comme nous apprismes par apres, qu'ils craignoient que leurs rets ne fuffent profanez par le voisinage de ces carcaffes: voila bien quelque chofe; mais voicy le fond de la plus grand part de leurs superstitions.

Ils ont vne croyance aux fonges qui furpaffe toute croyance, & fi les Chreftiens mettoient en execution toutes les infpirations diuines auec autant de foin que nos Sauuages executent leurs fonges, fans doute ils deuiendroient bien toft de grands Saincts. Ils prennent leurs fonges pour des ordonnances & des arrests irreuocables, & dont il n'est pas permis fans crime de differer l'execution. Vn Sauuage de nostre Village fongea cét hyuer dés fon premier fommeil qu'il deuoit faire promptement feftin, & fur le champ toute nuit qu'il eftoit, se leua, s'en vint nous [117] éueiller, et nous emprunter vne de nos chaudieres.

Le fonge eft l'oracle que tous ces pauures Peuples confultent & efcoutent, le Prophete qui leur predit les chofes futures, la Caffandre qui les aduertit des malheurs qui les menacent, le Medecin ordinaire dans leurs maladies, l'Efculape & le Galien de tout le Pays, c'est le maiftre le plus abfolu qu'ils ayent; fi

casion of the feast of the dead, some brought into our Cabin their nets alleging as a pretext the fear they [116] had of fire,- for it is usually in this season that fire often ruins entire Villages; that in our Cabin we were almost always moving about, and slept very little; that we were at some distance from the Village, and consequently were in less danger in that respect. But all this was talk; the true reason was, as we learned afterwards, that they were afraid their nets would be profaned by the proximity of these dead bodies. That is something, to be sure; but here is the foundation of the greater part of their superstitions.

They have a faith in dreams which surpasses all belief; and if Christians were to put into execution all their divine inspirations with as much care as our Savages carry out their dreams, no doubt they would very soon become great Saints. They look upon their dreams as ordinances and irrevocable decrees, the execution of which it is not permitted without crime to delay. A Savage of our Village dreamed this winter, in his first sleep, that he ought straightway to make a feast; and immediately, night as it was, he arose, and came [117] and awakened us to borrow one of our kettles.

The dream is the oracle that all these poor Peoples consult and listen to, the Prophet which predicts to them future events, the Cassandra which warns them of misfortunes that threaten them, the usual Physician in their sicknesses, the Esculapius and Galen of the whole Country,-the most absolute master they have. If a Captain speaks one way and a dream another, the Captain might shout his head off in vain,the dream is first obeyed. It is their Mercury in

vn Capitaine parle d'vn cofté, & vn fonge de l'autre, le Capitaine a beau se rompre la teste à crier, le songe eft le premier obey. C'eft leur Mercure dans leurs voyages, leur Oeconome dans leurs familles : le fonge prefide fouuent à leurs confeils; la traitte, la pesche & la chaffe s'entreprennent ordinairement fouz fon aueu, & ne font quafi que pour luy satisfaire; ils ne traittent rien de fi precieux dont ils ne fe priuent volontiers en vertu de quelque fonge: s'ils ont fait vne heureuse chaffe, s'ils retournet de la pesche leurs Canots chargez de poiffon, tout cela eft à la difcretion du fonge; vn fonge leur enleuera quelquefois leur prouifion de toute vne année: il prefcrit les feftins, les danfes, les chanfons, les ieux, en vn mot le fonge fait [118] icy tout, & est à vray dire comme le principal Dieu des Hurons. Au reste qu'on ne pense pas que ie face icy vne amplification ou exaggeration à plaifir, l'experience de cinq ans qu'il y a que ie suis à estudier les mœurs & les façons de faire de nos Sauuages, m'obligent de parler de la forte.

Il est vray que tous les fonges ne font pas dans ce credit, on a égard aux personnes, & il y en a tel qui aura beau fonger, pas vn ne s'en remuëra pour cela; de mefme fi c'est vn pauure, fes fonges font en fort peu de confideration: il faut que ce foit vne perfonne affez accommodée, & dont les fonges fe foient trouuez plufieurs fois veritables: & encor ceux qui ont le don de bien réuer n'écoutent pas tous leurs fonges indifferemment; ils en recognoiffent de faux & de veritables; & ceux-cy, difent-ils, font affez rares. Toutefois dans la pratique ils agiffent d'vne autre façon, & en executent de fi mal fagotez, & compofez de tant de pieces qui ont fi peu de rapport, qu'il ne

their journeys, their domestic Economy in their families. The dream often presides in their councils; traffic, fishing, and hunting are undertaken usually under its sanction, and almost as if only to satisfy it. They hold nothing so precious that they would not readily deprive themselves of it for the sake of a dream. If they have been successful in hunting, if they bring back their Canoes laden with fish, all this is at the discretion of a dream. A dream will take away from them sometimes their whole year's provisions. It prescribes their feasts, their dances, their songs, their games,- in a word, the dream does [118] everything and is in truth the principal God of the Hurons. Moreover, let no one think I make herein an amplification or exaggeration at pleasure; the experience of five years, during which I have been studying the manners and usages of our Savages, compels me to speak in this way.

It is true that all dreams are not held in such credit; regard is had to the persons, and there are some who dream in vain; for these no one will stir a step. Likewise if it is a poor person, his dreams are held in very little consideration. It must be a person in fairly good circumstances, and one whose dreams have been found several times true. And even those who have the gift of dreaming well do not all give heed to their dreams indifferently; they recognize some of them as false and some as true, the latter, they say, being quite rare. Yet in practice they act in another way, and carry out some so badly put together, and made up of so many parts having so little connection, that it would not be possible to say what are in their own judgment false, and what true; I fancy they [119] themselves would find considerable

me feroit pas poffible de dire quels font à leur iugement les faux fonges, ou les veritables; ie pense qu'eux [119] mesmes y feroient bien empeschez; c'est pourquoy, de peur de manquer en ce point, plusieurs en executent la plus part; s'il y a quelque obscurité dans vn fonge, ou fi les chofes qu'ils ont fongées, font, ou impoffibles, ou difficiles à recouurer, ou hors de faison, il se trouue des Artemidores qui les interpretent, & qui y coupent & tranchent comme bon leur femble. Quand les enfans font malades, les peres, ou les meres fongent pour eux; nous en vismes vn exemple cét hyuer dans noftre Village. Vn de nos petits Chreftiens eftoit fort malade, fa mere songea qu'il luy falloit pour sa santé cent pains de Petun, & quatre Castors, dont elle feroit festin; mais parce que le Petun eftoit rare, les cent pains furent reduits à dix, & les Caftors qui eftoient hors de faifon, changez en quatre grands poiffons qui pafferent pour Castors dans le festin, & dont les queuës furent données aux principaux pour des queues de Caftor. Apres cela ce petit Ange ne laissa pas de s'enuoler au ciel, au grand regret de ses parens, mais auec beaucoup de confolation de noftre cofté. Ces ames innocentes ont fans doute vn grand pouuoir aupres [120] de Dieu, pour moyenner la conuerfion de leurs peres, & pour impetrer mefme des graces fort particulieres pour ceux qui s'employent au falut de ces Peuples, & qui leur ont procuré le bien, dont ils fe voyent en poffeffion pour iamais. Mais paffons, nous ne fommes pas encor au bout de leurs superstitions.

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